Je suis devant le miroir
de la salle de bain, surement pour faire ma toilette matinale. Je fais de mon
mieux pour m’observer attentivement d’un œil à moitié endormi. Si le sommeil
est le cousin de la mort, alors je comprends mieux pourquoi je ressemble à un
Zombie. Il y a des matins comme ça, qu’on devrait penser à interdire.
Je tente de garder les yeux ouverts. J’ai autant de mal à redresser mes
paupières qu’un économiste a du mal à redresser le dinar tunisien. La bataille
ne semble pas gagner, mais je fais de mon mieux. Je m’observe d’un regard
accusateur, de quoi briser le miroir.
A cet instant même, je me hais, je hais ce que je suis, ce que j’ai pu être, et
me morfond dans le regret de ne pas avoir suivi des études de Sciences
Physiques, d’être devenu un Physicien de renommée, et d’avoir infine, inventé
la Machine à Remonter le Temps. Celle qui me permettra de revenir dans le passé
et de regagner quelques heures de sommeil, tous les matins ! Pour moi, le
vrai bonheur dans la vie, c’est de pouvoir se coucher sans avoir à régler son réveil
matinal.
Une giclée d’eau sur le visage, ça réveille l’esprit. Mes yeux commencent à
s’ouvrir délicatement, je vois flou et des formes bizarres, ça me rappelle un
filtre Instagram, je ne sais plus lequel. Pourquoi, je me fais tout ce
mal ? Pourquoi, merde ? Je tiens à pei… chuut ! Je l’entends,
c’est mon lit, il m’appelle. Il serait impoli de l’ignorer, je vais voir ce
qu’il ve… Non ! Il faut que je me ressaisisse ! Il faut que je
me réveille.
Aujourd’hui c’est Lundi, et la journée va être rude …
On m’attend à l’Association pour la Lutte contre les Lundis, où je suis
Président…
Nous gardons espoirs depuis que le Syndicat des Coiffeurs Professionnels a réussi
à faire du Lundi, un jour férié.
La lutte continue…
l'Aïd, c'est quand même
le seul jour de l’année où des gens se promènent avec des armes blanches aux
yeux et à la vue de tous, sans se faire inquiéter par la police ! Personne
ne semble paniquer à l’idée de voir ces couteaux servir à autre chose, que pour
le Sacrifice de l’Aïd.
Nous faisions la queue devant la boutique pour aiguiser nos couteaux pour le
Grand Egorgement, et j’observai attentivement les gens : je les
connaissais tous de vue, nous sommes du même quartier, d’ailleurs le mec devant
moi, je suis sur qu’il vient aiguiser ses couteaux, pour faire semblant devant
les voisins ! J’ai des doutes sur ses capacités financières à faire le
sacrifice …
Cette année, ça n’a pas été facile, la crise économique a été plus violente
envers les citoyens, que la police l’est généralement. Du coup, la classe
moyenne n’a plus les moyens … Et La grande problématique de cette année reste
la même que celle de la dernière à la même période : Peut on éviter le
sacrifice de l'Aïd, en fonction de nos conditions financières ?
D’ailleurs, moi-même dans cette file d’aiguiseur de couteaux, je n’ai pas
encore pris ma décision. Il faut que je consulte ma femme, si nous
prenons la décision de faire le sacrifice, les couteaux pourront très bien nous
servir, si nous décidons du contraire, ils pourront toujours nous servir pour
autre chose.
La décision dépendra de nos moyens financiers, nous n’avons pas encore fait le
Grand Sacrifice de toute notre vie, il faut bien le faire un jour, non ?
Me voilà sur le chemin du retour, préparant soigneusement mes arguments pour
convaincre mon épouse. Si elle n’était pas concernée par le Sacrifice de l’Aïd,
je ne pense pas que j’aurai débattu avec elle sur la question. Il est très
difficile de convaincre une Femme : Dieu, dans son immense omniscience a permis
aux hommes la polygamie, parce qu’il sait pertinemment qu’une femme a souvent un
dédoublement de la personnalité, une sorte de comportement schizophrène qui fait
d’elle, plusieurs femmes dans une seule ! De telle sorte qu’elle avait toujours
un avis et puis son contraire … toujours dans la même discussion.
Une fois à la maison, j’ai été droit au but : « Il faut que nous
fassions le sacrifice cette année, nous n’avons plus les moyens ».
A ma grande surprise, ma Femme semblait être d’accord avec moi, et répondit : « Tu
as raison, il faut bien le faire un jour … Peut être que cette année est la
bonne … Tu es sur que nous n’avons plus les moyens ? »
Mes arguments étaient prêts : « Oui, j’ai fait les comptes … on s’en
sortira plus l’année prochaine, il faut le faire cette année ! ». Il
y eut un moment de silence, elle baissa la tête de honte, et essuya ses larmes
de pitié. Je repris la conversation pour détendre l’atmosphère et surtout pour
lui arracher une confirmation : « La pauvreté n’est pas un crime, et
Dieu nous l’a demandé en signe d’amour et fidélité. Nous ne faisons rien de mal,
Chérie »
Elle releva la tête, me fixa droit dans les yeux, puis leva encore plus la
tête, et regarda vers le plafond en répondant : « Je le fais
uniquement pour Dieu et rien d’autre. J’espère ainsi qu’il nous acceptera dans
son éternel Paradis !»
Le lendemain, ma femme et moi avons pris la peine de tout préparer. Les enfants
dormaient encore, et on s’est dit qu’on les réveillerait une fois que le
Sacrifice serait terminé. On voulait leur éviter ce bain de sang et ses images
qui deviendront demain, des souvenirs atroces.
La veille, nous avons pris soin d’installer notre fils ainé dans une chambre à
part …
Il a 18 et est un brillant élève, dans son lycée. Cette année, il passe le bac.
Son coût nous revient déjà tres cher, alors je n’imagine pas, ce que ca sera
quand il sera à la fac … Nous n’aurons plus les moyens de l’entretenir, lui et
ses frères. Il fallait bien faire un Sacrifice : En Sacrifier un, pour faire
survivre le Groupe !
Ca fait mal d’égorger son propre fils, l’ainé de la famille, mais si Dieu le
veut ainsi… personne ne peut s’opposer à sa volonté. Abraham l’a fait pour nous
montrer que nous étions tous capables de le faire …
Sa mère et moi, sommes rentrés dans la chambre où il dormait « Réveille
toi, nous avons une surprise pour toi ». Il se réveilla, tout excité, nous
lui attachâmes les yeux et l’emmenâmes à l’arrière du jardin, les yeux bandés.
C’est en écoutant quelques prières que je faisais, qu’il commença à comprendre
l’entourloupe, il n’avait pas commencé à se débattre que le couteau aiguisé de
la vieille, avait déjà parcouru le long de sa gorge…
Le plus dur n’était de le voir se débattre par terre, le sang giclant de sa
gorge pour aller décorer le mur de la maison…non, le plus dur, c’était de
devoir écouter les sanglots de sa mère. L’instinct maternel a du refaire
surface, et la voilà qui gémit une décision qu’elle a prise la veille. Les
femmes sont vraiment schizophrènes.
Dieu aurait pu nous épargner tout ça. Je ne sais pas moi, il aurait pu
remplacer le fils aîné d’Abraham par un mouton, à la dernière minute. Ca nous
aurait évité d’égorger nos aînés, et ça nous aurait surtout évité les gémissements
des Femmes !